C'est avec une grande tristesse que nous avons appris le décès de Claude Morange à Paris, le 4 décembre 2019.
Né en 1937, il avait intégré l'École Normale Supérieure de Saint-Cloud en 1955, en même temps que Pierre Dupont, Jacques Maurice et Augustin Redondo. Agrégé d'espagnol en 1960 (après un séjour en Espagne), il avait d'abord été professeur dans le Second Degré, comme ses condisciples, ce qui était très formateur. Il avait enseigné en premier lieu au lycée de Nancy (où il avait contribué au développement de l'enseignement du castillan dans l'Est de la France), puis à celui d'Antony, quand il avait regagné la région parisienne. Postérieurement, il était entré dans l'Enseignement Supérieur comme assistant, d'abord à l'Université de Poitiers, ensuite à celle de Paris. Après les événements de 1968, qui avaient conduit à la division de l'ancienne Sorbonne, il fut un des rouages de l'enseignement des études hispaniques à l'Université de Paris III-Sorbonne (devenue Université de la Sorbonne Nouvelle) où il occupa les fonctions de Maître-Assistant puis de Maître de Conférences jusqu'à sa retraite en 1997.
Spécialiste de l'Espagne de la fin du XVIIIe siècle et de la première moitié du XIXe, il était très estimé des autres enseignants et de ses étudiants, qu'il préparait notamment, avec une grande rigueur, au difficile exercice du thème d'agrégation. Il avait su établir de solides liens scientifiques avec nombre de ses collègues français (au-delà même de l'équipe de recherche dont il faisait partie à Paris III). Il en allait de même avec ses collègues espagnols, tout spécialement avec Alberto Gil Novales, qu'il considérait comme son second maître, après Aristide Rumeau. Ce dernier, dont il appréciait beaucoup les qualités pédagogiques et scientifiques, avait été en effet son professeur puis le directeur de ses recherches à l'Institut d'Études Hispaniques de la Sorbonne. Claude Morange gardait un air détaché au sujet de ses travaux, mais il a été un chercheur productif et il a poursuivi ses recherches avec assiduité après sa retraite. Il s'est attaché ainsi, en véritable historien, à étudier l'impact de la France des Lumières et de la Révolution en Espagne à la fin de l'époque moderne et au début de l'époque contemporaine, sans négliger, pour ce faire, les apports de la presse.
Dans cette perspective, il s'est intéressé à l'activité et à l'œuvre de Sebastián de Miñano, cet afrancesado journaliste et écrivain, à la "révolution" de 1808-1814, au premier libéralisme espagnol, etc. Il a donc rédigé de nombreux articles et plusieurs livres, très bien accueillis par les spécialistes, qui ont reconnu l'importance de ses publications, aussi bien en France ou en Espagne qu'ailleurs. Pour ce qui est de ses ouvrages, il faut citer : Siete calas en la crisis del Antiguo Régimen Español (Alicante, Instituto Alicantino de Cultura Juan Gil-Albert, 1990), Paleobiografía (1779-1819) del "Pobrecito holgazán" Sebastián de Miñano (Salamanca, Ediciones Universidad de Salamanca, 2002), Una conspiración fallida y una constitución nonnata (1819) (Madrid, Centro de Estudios Políticos y Constitucionales, 2006). A cela s'ajoutent deux éditions, l'une de diverses oeuvres satiriques de Miñano et l'autre, d'écrits politiques de Olavarría : Sebastián de Miñano, Sátiras y panfletos del Trienio constitucional (1820-1823) (Madrid, Centro de Estudios Políticos y Constitucionales, 1994), Juan de Olavarría, "Reflexiones a las Cortes" y otros escritos políticos (Universidad del País Vasco, 2007).
Parallèlement, ayant pratiqué un engagement politique et militant depuis l'époque de l'ENS de Saint-Cloud, il avait gardé, malgré les désenchantements que connurent les intellectuels de sa génération, une sensibilité affirmée aux problèmes politiques et sociaux, ainsi qu'universitaires, en particulier à ceux qui concernaient nos disciplines.
Claude Morange a parfaitement illustré ce que devait être un enseignant-chercheur. C'est un hispaniste de valeur qui nous a quittés mais son souvenir restera très vivant chez tous ceux qui l'ont connu.
Augustin Redondo, Université de la Sorbonne Nouvelle